Stratégies énergétiques suisses d’autrefois et d’aujourd’hui

Quelques comparaisons entre le rapport de la GEK (1978) et la SE 2050 de l’OFEN

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Résumé /abstract:

Suite au premier choc pétrolier de 1973, une Commission fédérale de la conception globale de l’énergie (GEK) est constituée en octobre 1974. Elle publie son rapport final après quatre années de travaux, en novembre 1978. La Suisse était alors dépendante à 76.6% des produits pétroliers, tandis qu’elle n’est plus aujourd’hui que de 51.6% (2014), prouvant par là le grand sérieux du travail de cette Commission, présidée par Michael Kohn.

Selon les 4 scénarios proposés en 1978, cet article examine la répartition des agents énergétiques estimée jusqu’en l’an 2000, où la part des produits pétroliers devait être diminuée d’un tiers environ, un but pratiquement atteint aujourd’hui.  En revanche, si l’on prévoyait la constructions de trois centrales nucléaires supplémentaires pour la production d’électricité, dont la part devenait alors semblable à celle des barrages hydro-électriques, cette planification n’a pas été retenue par l’OFEN dans sa Stratégie 2050, puisque la décision de “sortir du nucléaire” a été décidée par le Conseil fédéral.

Parmi les énergies dites “nouvelles”, les investissements étaient essentiellement portés sur le solaire, mais ils étaient insignifiants pour l’énergie éolienne.

Ignorer le passé, c’est aussi raccourcir l’avenir.

Julien Green (1900-1998)

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[Note de l’éditeur: Pour convertir les Tcal en TWh, utiliser le convertisseur

   https://www.iea.org/statistics/resources/unitconverter/   

par exemples: 2’000 Tcal = 2.326 TWh ou 100’000 Tcal = 116.3 TWh       ]

Face au premier choc pétrolier de 1973 aux USA, lié à la réaction de l’OPEP de réduire sa production et d’augmenter fortement le prix du baril suite à la forte baisse du dollar après les accords de Bretton Woods et les célèbres “trois dimanches sans voiture” décrétés en automne 1973, la nécessité d’une diversification des sources d’énergies importées et produites  s’est imposée comme une évidence dans les pays occidentaux. La France, comme le Japon, se lançaient alors dans un ambitieux programme de construction de centrales nucléaires pour produire de l’électricité. L’Italie et l’Angleterre choisissent de privilégier plutôt le gaz pour le chauffage des bâtiments, tandis que l’Allemagne choisit de combiner gaz, charbon et nucléaire pour diminuer cette dépendance au pétrole. Dans ce contexte, une Commission fédérale de la conception globale de l’énergie (Gesamte Energie Kommission, GEK) est constituée le 23 octobre 1974. Composée de onze membres, elle tiendra plus de 110 séances d’une journée entière durant une période de quatre ans. Elle était présidée par Michael Kohn, ingénieur et administrateur délégué de Motor-Colombus SA et président d’Aar et Tessin d’Electricité (ATEL), une entreprise de distributrion d’énergie électrique qui a fusionné le 19 décembre 2008 avec Energie Ouest Suisse SA (EOS) pour devenir ALPIQ aujourd’hui,  cette dernière souhaitant céder une partie de ses participations sur de grands ouvrages hydro-électriques en Suisse, vu l’effondrement actuel du prix du kWh sur le marché libre européen, qui se situe actuellement autour de 3 centimes.

Il en ressort, dans son rapport final sur deux épais volumes rouges, datant de novembre 1978, que  la consommation finale d’agents énergétiques en 1976 en Suisse (il y a quarante ans aujourd’hui) était de 76.6% pour les produits pétroliers, 17% pour l’électricité, 3.7% pour le gaz, 1.4% pour le charbon et 1.3%  pour l’énergie fournie par le bois. On ne mentionnait pas encore le solaire, ni la géothermie profonde ou les PAC à cette époque.

Cette forte dépendance aux produits pétroliers importés a, sans nul doute, préoccupé les membres de la GEK. Comment développer à l’avenir et encourager d’autres agents énergétiques ?  Curieusement, on mettait encore beaucoup d’espoirs sur un accroissement de nos importations de charbon, avec gazéification sous pression et combustion sur lit fluidisé telles qu’envisagées au début des années 1980 (GEK, vol. 1, p.209), passant ainsi de 1.4% à max. 7.5% pour le scénario III c /K, dont une grande partie pour le chauffage à distance (2000Tcal), mais aussi pour la production d’électricité (1350 Tcal), bien que les pertes de conversion estimées étaient fort élevées (10’150 Tcal).

Ces divers scénarios élaborés par la GEK, qui tenaient compte des réserves mondiales (pétrole, gaz, charbon, uranium, bois, etc.), ainsi que de la croissance économique, celle des transports et de la population, devaient  permettre aux autorités politiques de “peser le pour et le contre” et de prendre des décisions utiles pour l’avenir, ceci sans avoir cet aspect monolithique de la récente “Stratégie énergétique 2050” de l’OFEN, véritable réforme de notre approvisionnement en énergie qui, par exemple, prévoit que les nouveaux agents énergétiques renouvelables pourraient remplacer, dans une trentaine d’années seulement, le 37.9 % de l’électricité fournie actuellement par les centrales nucléaires, ce qui paraît à première vue irréalisable. Un accroissement des importations d’électricité venant de l’étranger, augmentant ainsi notre dépendance  énergétique, comme pour le pétrole autrefois, semble dès lors inévitable, vu aussi l’augmentation de la population et des constructions d’immeubles durant ces cinq dernières années en particulier.

Parmi les quatre scénarions proposés en 1978, le troisième était lui-même subdivisé en plusieurs variantes. Un tableau comparatif des scénarios II et IIIc (voir annexe 1, fig. 3.3) de l’évolution de la répartition des agents énergétiques de 1975 à 2000,  sans ou avec réglementation nouvelle (article constitutionnel) montrait que l’on pouvait diminuer d’un tiers environ la consommation de pétrole, soit de 150’00 Tcal à 100’000 Tcal env.  Ce but a pratiquement été atteint en 2014, puisque cette part  a effectivement diminué de 25% à partir de l’année 1976.

Si la part du gaz naturel était importante, celle de l’énergie nucléaire pour la production de l’électricité l’était aussi, cette dernière étant estimée semblable, voire supérieure à l’énergie hydraulique en l’an 2000. La GEK prévoyait en effet la construction de trois centrales nucléaires supplémentaires en plus de Gösgen et Leibstadt, alors que Beznau 1 et 2 et Mühleberg étaient déjà en exploitation (GEK, vol. 1, p.520).

Cette planification n’a pas été poursuivie et la stratégie actuelle (SE 2050) prévoit même l’abandon programmé de cette forme d’énergie, qui va débuter avec l’arrêt de la centrale nucléaire de Mühleberg, appartenant aux Forces motrices bernoises (BKW /FMB), ceci en décembre 2019 déjà.

Enfin, en ce qui concerne les “Nouvelles énergies” et leur subventionnement nécessaire par la Confédération, un tableau présentait en 1978 des chiffres intéressants. (Voir annexe 2, Tableau 3.23, p.261, scénario IIId), à savoir que l’accent était déjà essentiellement porté sur l’énergie solaire (3’700’000 CHF) et seulement 20’000 CHF pour l’éolien, alors que le photovoltaïque en était à ses premiers pas.

Les conclusions de la GEK en 1978 étaient fort pertinentes. Il serait bon de s’en souvenir aujourd’hui.

Source: Bibliothèque am Guisanplatz (BiG) Papiermühlestrasse 21 A, 3003 Berne,

                  Cote Alexandria 1950728646 (Vol 1) et 1950728647 pour vol. 2

Annexes:

-Répartition des agents énergétiques (Modal splits) 1975-2000 (p.5)

GEK 257-2 rot

-Nouvelles sources d’énergie et leur financement par la Confédération. (p.6)

GEK 257-1 rot

André Durussel ©, Auteur AdS, CH-1464 Chêne-Pâquier  VD, 25 avril 2016

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